Echanger son savoir-faire

Echanger sans modération

S’interroger sur la standardisation des savoir-faire au sein de la filière vins

La majorité des jeunes vignerons sont issus des mêmes formations, des mêmes écoles, se réfèrent aux mêmes pratiques. À terme, je m’interroge sur une forme de standardisation des savoir-faire pour notre filière, qui pourrait se faire aux dépens de l’innovation et des parts de marché.

La filière crée-t-elle des conditions favorables au développement de nouveaux talents ?

Grâce aux échanges au sein de la filière, on est parvenu à favoriser des cépages oubliés alors même que 90% des vins sont élaborés à partir des même cépages internationaux (merlot, cabernet…). Avec la même volonté d’échange, le monde du vin a l’habitude d’être aux côtés des spiritueux dans les grands rendez-vous de la filière et dans les salons.

Néanmoins, chacun prend soin de rappeler ses spécificités en termes de produits, de marchés et de processus, qui font que les gens du vin ne s’attardent jamais très longtemps avec leurs confrères des spiritueux et vice versa… Certes, il existe effectivement des différences techniques, organisationnelles et commerciales importantes au sein de la filière, entre la Champagne, entre chaque région viticole ou bien encore avec les spiritueux… Mais la plus grande des barrières n’est-elle pas culturelle ?

Des barrières individuelles et culturelles à dépasser 

À un niveau plus individuel, chacun se dit  »j’ai commencé en Champagne ou bien j’ai débuté dans une cave coopérative et je vais avoir bien du mal à faire autre chose demain » Ces barrières culturelles posées entre les vins, le champagne ou les spiritueux ne facilitent pas la création de nouveaux espaces d’échanges et de collaboration, pour faire émerger de nouveaux savoir-faire au sein de la filière.
Malgré tout, certains parviennent à lever ces barrières pour passer d’un univers culturel à un autre. Ils sont rares et leur parcours professionnel n’est pas toujours bien compris par leurs pairs.

Quelles sont les qualités individuelles nécessaires pour passer du monde du vin au monde des spiritueux,

pour passer de la Bourgogne au Bordelais,

pour passer de la Champagne au Languedoc ?

Ce ne sont pas uniquement la passion et l’expertise technique, qui permettent de passer d’un univers à l’autre. Ce sont d’autres aptitudes moins techniques, comme l’ouverture d’esprit, qui éclaire le champ des possibles.

Arnaud Van der Voorde : un œnologue dans le calvados

Le parcours réussi de Arnaud Van der Voorde reflète ces possibilités d’échanges et d’évolution au sein de la filière V&S.
Lorsqu’en 2015, Arnaud Van der Voorde a rejoint Coquainvilliers dans le Calvados pour prendre la direction technique de trois Maisons de calvados (BoulardPère MagloireLecompte) et de la Maison Janneau en Armagnac, ses amis et confrères œnologues lui ont dit « tu ne pourras plus revenir dans le vin« …
Et pour cause, Arnaud est un homme du vin : il a commencé sa carrière d’œnologue à la cave de Tain, a mené de nombreux projets dans différents domaines et caves en particulier chez Jaillance en tant que chef de cave puis à la Maison du vigneron (GCF) dans le Jura en tant que responsable d’exploitation.Voici son témoignage.

S’ouvrir à d’autres produits que le vin avec une activité fermentaire

 »En ce qui concerne mon métier de directeur technique, je ne vois pas en quoi ce serait un problème de passer du vin aux spiritueux mais je conçois que cela puisse ne pas être compris… Il n’y a pas de pont évident entre le monde du vin et le monde cidricole. Pourtant, si l’on prend un peu de recul, on a un produit avec une activité fermentaire et des levures. On doit le transformer en un produit loyal et marchand tout aussi qualitatif… Je pense à mes amis sommeliers et dans l’hôtellerie. Ce sont des métiers différents mais les sommeliers travaillent avec les chefs cuisiniers. Chacun donne son avis sur les accords mets-vins. Ils disent ce qu’ils pensent, même s’ils travaillent dans des univers culinaires parfois complètement différents… »


« Pourquoi on n’arriverait pas, nous, de temps en temps, à voir comment on fait des spiritueux, comment on fait du cidre ou de la bière ? Il faut être passionné et ouvert d’esprit. Je suis persuadé que l’on ne peut grimper en qualité que si l’on s’écoute et que si l’on se dit les choses. »

S’ouvrir à d’autres pratiques œnologiques et commerciales

« J’ai travaillé avec des domaines et des caves coopératives qui avaient plus ou moins de moyens… Tout le monde veut avoir des médailles et des supers articles par les journalistes du moment. Il y a des structures qui disaient  »ça c’est l’objectif, on y va et on y met les moyens ». J’ai également connu des structures qui disaient  »on veut ça mais on n’a pas les moyens. Et finalement, c’est là que j’ai le plus appris.
Les producteurs de calvados sont beaucoup plus basés sur l’empirisme que sur le fondamental : ils n’ont pas eu assez de moyens pour faire de la recherche fondamentale sur tous les aspects techniques de leurs produits. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne savent pas ce qui se passe sur leurs produits.
De fait, il y a des opérateurs beaucoup plus attentifs. Quand ils vous posent la bouteille sur la table, c’est eux qui l’ont fait et l’œnologue conseil n’a pas travaillé seul sur leur produit. On discute avec beaucoup de gens très intéressants en permanence.
Il y a la même chose en Armagnac. Si je reviens un jour sur une région vinicole, je pourrai expliquer quels types de moyens on est parvenu à mettre en place. Aller dans une région qui manque de moyens techniques, c’est aussi formateur. »

Savoir s’étonner et échanger
 

« Mon directeur m’avait demandé un rapport d’étonnement que je lui ai remis au bout de trois mois où je lui expliquais ce que je voyais en termes de cohérence de gamme. Je ne voyais pas pourquoi dans la plus prestigieuse de nos Maisons, on démarrait la gamme avec un produit très jeune compte 2 ou compte 3. Pour moi, si c’est une maison prestigieuse, les produits d’entrée de gamme sont à minima  »premium », donc pas inférieur à 12 ans d’age.
Chacun peut apporter une vision complémentaire : c’est pour cela qu’il faut savoir écouter et se dire les choses. »

Saisir l’opportunité de l’échange pour éviter la sclérose

En conclusion, une filière où se ne créent pas suffisamment d’échanges entre les métiers et les régions, prend un jour le risque de se scléroser. De même, au niveau individuel, chacun peut se dire qu’il a un champ d’opportunités beaucoup plus vaste qu’il ne l’imagine.
Il est possible de passer d’un univers à un autre et certains l’ont fait avec succès. L’échange et la mobilité représentent une opportunité de développer de nouvelles compétences, d’acquérir des expériences variées et de cultiver ses réseaux professionnels.
Au-delà de ce constat, chacun a tout à gagner à développer son ouverture d’esprit pour réussir : à être en veille, à se montrer curieux et disponible pour appréhender d’autres produits, d’autres pratiques œnologiques et commerciales, pour s’étonner et échanger avec les autres.

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